La face cachée du gaspillage alimentaire
Plus de la moitié du gâchis est invisible. Plongeons dans le potentiel incroyable des coproduits.
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Si tu attends ton train (1 min de lecture)
Constat 🧐 : Un tiers de la nourriture produite n’est jamais consommé. 32% du gaspillage a lieu dans les champs et 21% dans les usines de transformation. Plus de la moitié du gâchis nous est donc invisible au quotidien.
Sujet 🤔 : Toutes les matières perdues qui pourraient être valorisées ont un petit nom : les coproduits. 75% des coproduits servent à l’alimentation animale, et seulement 15% sont utiles en consommation humaine. Il faut en valoriser plus.
Inspirations 👏 : Il y a autant de coproduits que d’inventions. Tu peux te chausser avec du raisin, manger des drèches de bière, ou t’habiller en ananas. On plonge ?
Si il est en retard “en raison de difficultés lors de la préparation du train” (10 min de lecture)
Au programme :
Constat : le gaspillage a la côte.
Sujet : du gaspillage aux coproduits.
Inspirations : imagine un monde où…
Allez go
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1. Constat 🧐 : le gaspillage a la côte.
Certains chiffres collent à la peau. Trop graves et évidents pour être oubliés. La semaine dernière, on se rappelait qu'1 personne sur 4 n’a pas accès à l’eau potable. Aujourd’hui, c’est à l’alimentation de passer sur le grill.
Les grandes personnes aiment les chiffres
1 personne sur 9 se couche le ventre vide dans le monde.
33% de la nourriture produite n’est jamais consommée.
8% des émissions de CO2 sont dues au gaspillage alimentaire, 3X l’aviation.
143 milliards d’euros sont perdus à cause du gaspillage en Europe. Cash pillage.
Voilà l’évolution du nombre de recherches sur Google pour “Food waste” ces 20 dernières années. On se renseigne 3x plus sur le gaspillage alimentaire aujourd’hui qu’en 2004. Espoir ?
Le gaspi-âge
Plongeons pour comprendre pourquoi le gaspillage nous intéresse de plus en plus.
2012 : La France s’engage à diviser par deux le gaspillage avant 2025.
2014 : Phenix se lance pour réduire le gaspillage en grande distri. Propulsés par Jean Moreau, ils ont sauvé 200 millions de repas. Moreau Gaspillage.
2015 : Too Good To Go commence à distribuer les invendus des petits commerces. La belle histoire cofondée par Lucie Basch a sauvé 78 millions de repas rien qu’en 2022. Gaspi Basching.
2016 : La loi oblige la grande distri à donner ses invendus. A l’époque, on mettait encore de la javel dans les poubelles. C’était du propre. Plus de 5 000 assos ont été créées depuis pour distribuer ces invendus. Cette loi Guillaume Garot était une première mondiale. Gare au Guillaume.
Depuis 2018 : Les lois s’enchaînent, et toute l’industrie agroalimentaire doit désormais donner ses invendus. De nouveaux sauveteurs sont nés, comme Nous Anti Gaspi qui a déployé 28 magasins en France.
Super, beau boulot les amis. Fin de l’histoire ?
Et non. 10 millions de tonnes d’aliments sont encore gaspillées chaque année en France. C’est 16 milliards d’euros de valeur. De quoi offrir 48 000 euros de cadeaux de Noel aux 330 000 sans abris français.
On pense souvent au gaspillage alimentaire visible de tous.
Celui qu’on imagine quand on quitte la boulangerie à 19h30 et que l’étalage regorge encore de viennoiseries.
Celui dont on se sent coupable quand on jette une tomate pourrie, oubliée au fond du frigo.
C’est la partie visible de l’iceberg.
32% du gaspillage alimentaire a lieu dans les champs et 21% dans les usines de transformation. Plus de la moitié du gâchis nous est invisible au quotidien.
Partons à la quête de ces 5 millions de tonnes de bouffe apparemment perdues. Attachez vos serviettes.
2. Sujet 🤔 : du gaspillage aux coproduits.
Du champ à l’usine
L’agriculteur doit composer avec la météo. Il plante plus que nécessaire pour s’assurer qu’il récoltera assez pour l’usine même si c’est une année pourrie. Comme tout n’est pas pourri dans la vie, il surproduit.
Une partie de la récolte sera hors normes. Certains produits seront trop petits, trop gros, trop déformés, trop malades. Trop dommage.
Les machines de récolte peuvent abîmer la production, et elles laissent toujours une partie de la récolte dans le sol. Gaspillage aliments terre.
Dans l’usine il faut trier pour ne garder que ce qui correspond parfaitement au produit qu’on fabrique. Si tu veux faire des frites, tu écartes les petites pommes de terre.
Et puis le marché évolue. En 2020 à cause du Covid, on s’est retrouvé avec 450 000 tonnes de pommes de terre sur les bras en France. On a épluché toutes les solutions, mais au bout d’un moment ça a été jeté.
Bref. Plus de la moitié du gaspillage alimentaire vient de nos champs et de nos usines.
Le gaspillage est bien plus qu’alimentaire.
Lors de mes recherches, un exemple m’a frappé. Tu connais l’aquafaba ? C’est un substitut du blanc d'œuf bien connu des vegans. On l’obtient en récupérant l’eau de rinçage des pois chiche et on peut cuisiner de la mousse au chocolat avec.
Si une usine jette cette eau, ça n’est pas compté comme du gaspillage alimentaire. On peut le comprendre : ça n’est pas directement de l’alimentaire. Mais si on en fait de la mousse au chocolat, pourquoi la jeter ? Même pois chiche de la valoriser.
La vérité, c'est qu’en moyenne 80% de la masse de matière première qui rentre dans une usine en ressort par la poubelle.
Julien Lesage, CEO Hubcycle, dans le podcast Too Good To Grow
Boum. C’est une révélation pour moi. Comme cette aquafaba, beaucoup trop de matières ne sont pas valorisées en sortie d’usine. Qu’elles soient comestibles ou non, il faut en tirer le meilleur.
Toutes ces matières perdues qui pourraient être valorisées ont un petit nom : les coproduits.
Un coproduit est une matière qui est créée au cours même du processus de fabrication d’un produit, que ce soit de façon intentionnelle ou non.
Définition de l’Ademe
Au nom de la loi je nous arrête. Si tu veux la définition légale des coproduits, c’est ici.
Ils servent à quoi ces coproduits ?
1,3 milliard de tonnes de déchets et de coproduits sont générés par la filière agroalimentaire dans le monde chaque année. Je vais t’éviter un inventaire à la Prévert, sinon tu vas sauter le paragraphe et ça sera du gaspillage éditorial.
Si tu as envie de tous les connaître, quelques dieux du sujet ont écrit leur bible : la Coopération agricole, Reseda, ou l’Ademe.
Ce qu’il faut retenir c’est que 75% des coproduits servent à l’alimentation animale. Lorsqu’on produit de l’huile avec du soja, on génère un coproduit appelé “tourteau” riche en protéines pour les porcs ou les volailles par exemple. Lorsqu’on fabrique du sucre avec des betteraves, le principal coproduit est la pulpe de betterave. Les bovins en raffolent. Vachement nutritif.
6% des coproduits sont utilisés pour fertiliser les champs. La vinasse est un autre coproduit de la betterave. Liquide et riche en potassium, elle est épandue dans les champs.
3% des coproduits servent à produire de l’énergie. Les méthaniseurs se développement partout en France, et produisent du biogaz avec des déchets agricoles.
Seulement 15% des coproduits sont utilisés pour la consommation humaine.
L’objectif est de valoriser au mieux tous les coproduits. Sortir des ingrédients donnés aujourd’hui aux cochons pour en faire des ingrédients pour la consommation humaine par exemple. On appelle ça l’upcycling, ou le surcyclage.
Il faut aussi que tous les industriels se parlent. Même pour s’échanger des produits agricoles il y a des silos.
Prenons un exemple. Dans une usine de jus d’orange, on utilise la pulpe et le jus. La peau est un coproduit : elle est jetée.
Dans une autre usine, on fabrique des huiles essentielles avec la peau de l’orange. Dans cette deuxième usine, c’est la pulpe et le jus qui sont les coproduits. Et tu sais quoi ? On les jette aussi.
Les coproduits des uns sont les ressources des autres. Des ponts doivent être construits partout et tout est à bâtir.
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3. Inspirations 👏 : Imagine un monde où…
…toutes les usines valorisent leurs coproduits :
Hubcycle : transforme plus de 600 coproduits en ingrédients. Ils ont levé 5m€.
Stokelp : plateforme d’échange de surplus de stocks entre industriels. Ils valorisent plus de 500000€ de produits chaque mois. Second food life valorise aussi les surplus.
Innovafeed : ils cultivent des insectes et valorisent les coproduits de Tereos, coopérative agricole voisine. Selon le CEO, leurs produits émettent ainsi 100x moins de CO2 que l’alimentation animale standard.
Les industriels valorisent souvent leurs coproduits. Par exemple Agrial crée des soupes, jus, arômes ou purées avec les 20% de fruits abîmés dans le process.
…la confiture change le monde :
Re-belle : association qui fabrique des confitures à partir de fruits et légumes déclassés. Ils se battent pour réinsérer des personnes en difficulté, et sont 12 salariés permanents.
…tes fruits et légumes sont moches :
Bene Bono : panier de fruits et légumes moches. Ils ont sauvé 2100 tonnes depuis 2020. Ils ont 23 000 clients dans 250 villes. Sacrée histoire.
Pimp up : équivalent surtout présent autour de Montpellier.
Atypique : startup née à Lyon en 2021. Ils ont levé 2m€ et leurs 23 salariés distribuent des invendus de producteurs à plus de 650 pros.
Beesk : produits "hors normes" pour la restauration et l’événementiel. Ils ont valorisé plus de 200 tonnes depuis 2018.
Des exemples équivalents se développent partout, comme Imperfect foods aux US, Oddbox en Angleterre.
…tu peux goûter comme un enfant et faire une bonne action :
Kignon : fabrique des biscuits à partir de pains invendus, cuisinés par des personnes en situation de handicap.
In Extremis : vend des gâteaux et infusions avec plus de 60% de produits antigaspis, tout comme Ipsago, qui valorise les drèches de bières.
The Ugly Company (USA) : transforme des fruits imparfaits en snacks séchés.
Barnana (USA) : utilise des bananes plantains bio abîmées pour créer des snacks.
…tu cuisines avec de la farine issue de pain rassi :
Crumbler : broyeur de pain rassi vendu aux boulangeries, pour qu’elles puissent en réintégrer dans leurs farines.
Maltivor : farines à partir de drêches de bière.
Green Spot Technologie : ne transforme pas le pain mais les coproduits de la sauce tomate, de la compote et des drèches de bière en une farine nutritive via un procédé de fermentation. Ils peuvent déjà produire 100 tonnes par an.
Renewal Mill : farine via coproduits aux US.
…les coproduits deviennent une potion magique pour ta santé :
Onima : super-ingrédient protéiné à base de drèches de bière comme alternative aux protéines animales.
Circul’egg : recycle les coquilles d'œufs pour en faire des ingrédients. Leur procédé sépare la coquille en deux parties : le carbonate de calcium d‘un coté pour la solidité osseuse, et la membrane de l’autre coté riche en protéines.
The Coffee Cherry : utilise le fruit du caféier et crée des ingrédients. Habituellement jeté, il regorge de protéines, fibres et minéraux.
Outcast : transforme les invendus agricoles en poudres protéinées de fruits et légumes pour la cuisine.
Revyve : produit des ingrédients protéinés à partir de coproduits comme la levure de bière. Ils sont surtout utilisés dans la formulation de recettes végétariennes.
…tu picoles du pain et des légumes :
Gasper : brasse une bière en utilisant les invendus de pain des boulangeries. Ils ont valorisé 1 tonne de pain, 1 tranche par bouteille. Cocomiette en est une autre.
Loop (Canada) : crée des jus pressés à froid et thés glacés à base d’invendus.
…tu te chausses au raisin :
Zèta : vend des baskets recyclées et vegan à partir de raisin, maïs et café.
Il faut compter 1kg de marc de raisin par paire pour nos baskets en raisin.
Depuis 2020, nous avons recyclé plus de 90 tonnes de déchets, toutes matières confondues (raisin, maïs, café, plastique, caoutchouc…).Laure Babin, CEO Zèta
…tu t’habilles en ananas, en crevettes ou en banane :
Ananas Anam : crée des textiles à partir de fibres de feuilles d'ananas, un sous-produit de la récolte d'ananas.
TômTex : matériau innovant à partir de déchets de coquilles de crevettes ou de champignons.
Bananatex : utilise les tiges de bananes pour créer un textile durable.
…tu bois dans du citron :
Repulp : utilise les peaux de citrons ou d’oranges pour créer des tasses ou luminaires biosourcés et recyclables.
…tu manges tes pâtes avec du son de blé et des drèches de bière :
Biotrem : produit de la vaisselle jetable à partir d’un coproduit du blé : le son.
Waste Me Up : collecte les drêches des brasseries pour les transformer en ingrédients pour différents marchés tels que la vaisselle jetable.
Reus’eat : couverts compostables et réutilisables à partir de drêches de bière, en Auvergne Rhône-Alpes.
…tu t’asseois sur des coproduits de bière ou de coco :
Instead : utilise les drêches pour fabriquer des meubles, comme ces tabourets.
NaturLoop : matériau à base de coproduits de noix de coco, pour fabriquer des meubles comme des tables et des chaises.
Arda Biomaterials : crée un cuir à base de drêches de bière comme alternative au cuir traditionnel et synthétique.
…tu te fais belle avec des tourteaux, ou de la pulpe de betterave :
Ensème : shampoings secs à base de coproduits agricoles : noyaux, paille de blé, noyaux de prunes, pépins de pomme, mélasse de betterave. Ils servent déjà 3000 clients.
BioPowder : poudres à partir de noyaux de fruits utilisées pour leurs propriétés abrasives dans les produits cosmétiques.
Oleoinnov : valorise le tourteau de colza pour produire des enzymes et des antioxydants utilisables en dermocosmétique.
…tu retapes ta maison avec des tourteaux et des noyaux :
Evertree : adhésif à base de tourteaux pour remplacer les résines polluantes dans le monde du bâtiment.
Biogranulats : collecte des noyaux de pêches et d’abricots pour en faire un granulat décoratif pour ton allée.
…tu te chauffes au café, ou à la betterave :
Chaff : propose une solution pour recycler le marc de café en granulé de bois. Leur campagne de crowdfunding est ici.
Tu en veux plus ?
Upcycled : association américaine qui coordonne beaucoup d’entreprises valorisant des coproduits.
Merci de m’avoir lu jusqu’au bout. Si tu veux lire l’épisode 2 avec les idées de jobs et de boites à lancer dans les coproduits, ainsi que les vocaux d’entrepreneurs : c’est par ici !
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À très vite,
Guillaume
Très intéressant merci et j'adore les jeux de mots ;)
Merci pour cet article super intéressant ! J'avais déjà entendu parler de ce type d'initiatives notamment avec "nofilterfrance" mais je trouve vraiment top de voir qu'il y a autant de solutions possibles pour valoriser et réduire les pertes !