Dessine-moi un cargo
Windcoop est une coopérative fascinante qui réinvente le transport maritime.
Hello les plongeurs, voilà la newsletter du Plongeoir #84.
Cette édition fait partie de mon programme “Plongeons portraits”. Aujourd’hui on plonge dans une folle aventure collective : Windcoop.
Windcoop est une coopérative de cargos à voile qui appartient à 1 700 sociétaires (dont moi !). J’adore ce type de projet qui mêle grain de folie et collectif.
Leur premier cargo est financé ! 28,5 millions d’euros tout de même :)
Ça sera le premier cargo porte-conteneurs au monde qui naviguera majoritairement à la voile. Il reliera Marseille et Madagascar dès 2027.
Accroche ta ceinture et embarque avec nous dans l’aventure :
Si tu as 30 secondes
Constat 🧐 : Le commerce maritime est indispensable : c’est 90 % des échanges. Mais c’est à la fois un secteur opaque, peu respectueux des marins et très émetteur de CO2. Et si on changeait la donne ?
Sujet 🤓 : L’histoire de Windcoop est juste géniale. Une rencontre incroyable entre 3 cofondateurs, une vision du futur des cargos passionnante, et une capacité à lever 30 millions d’euros en 3 ans. Tu vas adorer.
Ingrédients 🤔 : Windcoop marie parfaitement idéalisme et pragmatisme. Ils ont fait de la transparence une force puissante. Et leur modèle coopératif est un ADN qui les portera très loin. J’ai découvert à quel point ça pouvait être performant.
Vocaux 📣 : Alice (Directrice opérationnelle), Matthieu et Nils (cofondateurs), ou encore Erwan (Responsable commercial) nous donnent leurs insights. C’est riche !
On plonge ?
Cet article est un “Plongeon Portrait” du Plongeoir. Les partenaires rémunèrent le Plongeoir pour ce travail. C’est grâce à eux que cette newsletter reste gratuite. Tu peux lire ici comment on les sélectionne.
Si tu as 15 minutes
Au programme :
Constat : Les cargos font des vagues.
Sujet : La folle histoire de Windcoop.
Ingrédients : La recette Windcoop.
La newsletter sera coupée avant la fin et tu louperas l’essentiel, alors lis-la en ligne ;)
1. Constat 🧐 : les cargos font des vagues.
Les grandes personnes aiment les chiffres.
3 % : part des émissions mondiales de gaz à effet de serre liée au transport maritime. Autant que l’aviation. Il y a du gaz dans l’eau.
77 % : part des cargos immatriculés avec des pavillons de complaisance. Les compagnies maritimes immatriculent leurs bateaux dans des pays à faible réglementation. Objectif ? Moins d’obligations fiscales, une main-d’œuvre bon marché, et des normes de sécurité plus souples. Les conséquences sociales sont lourdes.
40 % : part de la flotte internationale immatriculée au Panama, Libéria, et aux Îles Marshall. L’opacité y est totale.
98,8 % : pourcentage d’hommes dans la main-d'œuvre mondiale des gens de mer. Intégrer une femme sur un bateau dont la culture est si masculine est difficile. Et si on recréait une compagnie moderne de toutes pièces ?
X2 : L’OMI (Organisation Maritime Internationale) parie sur un doublement du transport sur les mers d’ici à 2050. Oups, on double les problèmes aussi ? Ou on change tout avant ?
Les grandes personnes aiment aussi les cartes.
90 % du commerce mondial passe par la mer. C'est fou.
T’es déjà allé sur MarineTraffic ? Tu peux suivre les 50 000 cargos du monde entier en direct. Rien de tel si tu veux suivre la position de tes futures baskets.
C’est un peu le périph parisien tous les jours :
Il faut rêver de nouveau
De plus en plus de marques cherchent à améliorer l’impact social et environnemental de leurs produits. Imagine que tu crées une marque de chocolat, et que tu veux sincèrement faire le max. Tu bosses avec du cacao éthique, du commerce équitable, du bio, et tutti quanti.
Comment penses-tu que tu vas transporter ton cacao vers l’Europe aujourd’hui ? Probablement très mal, sans trop savoir comment agir.
C’est ce qu’on appelle un trou dans la raquette. Et si on le remplissait ?
Le transport maritime mondial cumule pas mal de problèmes. Mais derrière chaque défi se cache un rêve :
Émissions de CO2 massives : et si on mettait des voiles sur les cargos ?
Précarisation sociale des marins : et si on recrutait sous pavillon français, avec un label ESUS ?
Inégalités de genre : et si on recrutait massivement des femmes ?
Opacité totale : et si on était transparent de A à Z sur le projet ?
Modèle centré sur le profit : et si le modèle était coopératif ?
Je sais ce que tu te dis : idéaliste ?
Et bien une folle équipe s’est lancée ce défi. Et alors que beaucoup pensaient secrètement que leur rêve resterait théorique, ils viennent de lancer la construction d’un cargo à 28,5 millions d’euros…
Sujet 🤓 : La folle histoire de Windcoop.
Saison 1 : une coopérative avant tout.
Tu connais Enercoop ? C’est une coopérative d’énergies renouvelables de plus de 200 salariés qui a été créée par Julien Noé.
Julien a vécu le potentiel des coopératives. Pour lui c’est l’essence même de l’entreprise : des gens qui se rassemblent pour fournir des produits ou services meilleurs, sans chercher à concentrer le capital.
En 2015, le transport maritime le titille. Pour lui, ça serait le secteur parfait pour créer une coopérative.
Il rencontre alors Nils Joyeux, cofondateur de Zéphyr & Borée. Cette boîte basée à Lorient est un des pionniers des cargos à voile.
Ils sont aujourd’hui connus pour leur cargo Canopée. Il déplace des pièces de la fusée Ariane sur un cargo assez fou qui avance en partie à la voile. Canopée fait des allers-retours entre l’Europe et la Guyane depuis 2023.
Julien Noé n’y va pas par 4 chemins en 2015 : “Nils, pourquoi ne pas transformer Zephyr & Borée en coopérative ?”
“J’y connais rien mais de loin le transport maritime ça pollue, on fait naviguer des épaves, on exploite des marins sous pavillons étrangers, avec des financements opaques. On pourrait faire du financement citoyen, mettre des voiles, des panneaux solaires, rémunérer les gens correctement etc. ?”
Julien Noé, fondateur d’Enercoop, 2015
Ça serait trop délicat pour Nils. Zephyr et Borée vient de lever des fonds. Cette idée fait malgré tout son bout de chemin pendant 4 ans.
En 2019, ils prennent une décision qui va tout changer. Ils décident de cofonder une compagnie maritime de zéro, en parallèle de leurs aventures respectives Enercoop et Zephyr et Borée. Sacré défi !
Julien apporte sa connaissance de la coopérative. Nils et ses associés amènent celle du monde maritime.
Ils partagent une même vision : la transition ne peut pas être uniquement technologique. Il faut de nouveaux modèles économiques qui concentrent moins le pouvoir et le capital.
Ils veulent créer une coopérative maritime, citoyenne, militante. Tout reste à faire : on parle ici d’un secteur dominé par des mastodontes. Il faut lever beaucoup d’argent dès le démarrage pour construire un premier cargo.
Pour convaincre des citoyens d’investir et des banques de suivre, il leur manque un ingrédient essentiel.
Ils doivent trouver un client visionnaire. Quelqu’un qui osera s’engager sur des volumes futurs à transporter alors que rien n’existe encore.
Saison 2 : La rencontre qui change tout
Nils et Julien font la rencontre de Matthieu Brunet début 2021. C’est le dirigeant d’Arcadie, une boîte familiale qui distribue des tisanes et des épices bio dans 3 000 magasins.
Arcadie importe un quart de ses produits de Madagascar. L’île est mondialement connue pour sa vanille.
C’est une belle PME, avec un chiffre d’affaires d’environ 18 millions d’euros. Matthieu réfléchit depuis longtemps au problème du transport.
Dis-toi qu’il a poussé le sujet du commerce équitable et du bio jusqu’au bout. Ils ont notamment été les premiers à structurer une filière d’épices bio et équitables à Madagascar dans les années 90.
Matthieu a une grosse frustration. Il lui est impossible de maîtriser les exigences sociales des transporteurs...
Parfois on a un livreur qui arrive chez Arcadie dans son camion, et tu sens vraiment la détresse sociale. La personne a dormi dans son camion depuis 1 semaine. C’est ce modèle-là qui transporte nos produits ? On fait attention à nos fournisseurs à l’autre bout du monde, mais l’intermédiaire est traité comme ça ?
Il faut réinventer la logistique. Une logistique sociale.
Matthieu Brunet, cofondateur de Windcoop et président d’Arcadie
Matthieu a le même rêve que Nils et Julien. Il faudrait inventer une compagnie maritime d’un nouveau genre. Avant de les rencontrer, il pensait acheter un mini cargo à voile pour 300 000 euros. Il décide finalement d’investir 2 millions d’euros dans cette coopérative… qu’ils baptisent Windcoop.
Matthieu devient cofondateur, et investisseur principal. Il s’engage même à devenir le premier client alors que tout est à construire. C’est un énorme pari de sa part.
“Tous les projets de voilier existants priorisaient les lignes transatlantiques, très ventées. Avant que quelqu’un ne se préoccupe de Madagascar, il allait se passer des dizaines d’années. Il y a un moment où tu dis qu’il faut y aller, parce que personne ne le fera à ta place.”
Matthieu Brunet
J’adore :)
La première ligne de Windcoop sera donc France–Madagascar.
Quand on analyse l’histoire de Windcoop, je trouve qu’une belle part du succès est déjà présente à ce stade, alors qu’aucun bateau n’a encore été dessiné. 3 entrepreneurs complémentaires et expérimentés qui décident de lancer un projet ambitieux ensemble avec un engagement dingue.
Saison 3 : La conception du bateau
Les 3 cofondateurs se sont tapés dans la main. Mais maintenant on dessine quoi comme cargo ?
Dès le départ, l’objectif est de marquer le coup. Ils veulent construire le premier porte-conteneurs à voile au monde. Bam, ça claque !
Jusqu’à maintenant les cargos à voile ne transportent que des palettes. La vision de Windcoop est de transformer le secteur. Et son plus gros symbole, c’est le conteneur.
Ils commencent par dessiner un bateau de 70 m, pour déplacer 70 conteneurs quasiment 100 % à la voile. Les défis techniques sont énormes mais ils les surmontent un par un :
Ils choisissent par exemple des mâts autoportants, sans haubans (sortes de câbles qui soutiennent le mat). Pour libérer de l’espace pour les conteneurs.
Pareil pour la grue : il faut l’intégrer dans le mat pour libérer de la place pour les conteneurs. Et justement que les mâts ne la gênent pas...
Sans oublier le problème de la gîte : un voilier penche, comment faire pour que les conteneurs ne tombent pas à la mer ?
Une fois ces premiers défis résolus, ils font deux découvertes majeures :
Déjà, Marseille - Madagascar ne sera pas réaliste 100 % à la voile : le vent n’est pas assez stable sur la route. Il faut traverser le fameux “pot au noir”, zone sans vent. Il faut aussi passer par le canal de Suez. Le trajet serait trop long, trop cher. Il serait impossible de garantir un délai aux clients à la voile uniquement… Il faut prévoir une partie du trajet au moteur.
Et surtout, un cargo à voile de 70 m qui navigue au moteur est une cata écologique. Son impact carbone est plus élevé qu’un énorme porte-conteneurs classique.
Oups ! Il faut comprendre ça, c’est super important :
Pour évaluer la performance écologique d’un bateau, il ne faut pas regarder simplement ses émissions de CO2. Il faut analyser ses émissions de CO2 par tonne transportée. Logique non ?
Prenons l’exemple extrême d’un cargo de 20 000 conteneurs. Son bilan carbone est excellent si tu calcules ses émissions de CO2 par conteneur transporté. Pour simplifier, c’est comme si une Twingo se baladait avec 12 conteneurs de marchandise sur le dos…
Le moteur d’un petit cargo à voile qui transporte 70 conteneurs émet beaucoup de CO2 / conteneur s’il est allumé. Un petit cargo à voile est génial… tant qu’on n’allume pas le moteur.
En fait il y a une loi physique toute simple qui explique tout :
Quand tu doubles la longueur d’un cargo, tu doubles aussi sa largeur, et son creux. Tu augmentes donc sa capacité de chargement au cube.
Par contre, tu n’augmentes pas au cube les émissions de CO2 du bateau. Plus on charge de conteneurs sur un cargo, moins on émet de CO2/conteneur.
Simon Delvoye, architecte naval chez Zéphyr et Borée pour Windcoop
Voilà un graphique pour comprendre le lien entre la capacité d’un cargo à moteur et ses émissions. On comprend vite le danger d’un cargo trop petit qui allume son moteur…
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Point A : Un petit cargo de 70 conteneurs (Sans voiles) est très émetteur de CO2. Si tu en fais un cargo à voiles, tu dois naviguer quasi 100 % à la voile pour diminuer les émissions de CO2 du transport par kilo transporté. Dès que le moteur est allumé, c’est cata.
Point B : Un cargo de 200 conteneurs est déjà beaucoup moins émetteur de CO2 au conteneur. Il peut se permettre d’être un peu moins à la voile si le vent manque parfois. Mais pas trop ! Sinon il émet plus au conteneur qu’un cargo à moteur beaucoup plus gros.
Point C : Un cargo de 5 000 conteneurs est déjà très efficient en termes d’émissions de CO2 par conteneur transporté. Des voiles lui seraient contre productives, elles ne pourraient pas être assez grandes. Il y a une limite de taille pour un cargo à voile. Il doit se concentrer sur d’autres leviers, comme un nouveau carburant ou une route optimisée.
L’équipe Windcoop a énormément appris. Finis les raccourcis de type “Un cargo à voile est mieux”. Bienvenue dans un monde où on décide quand un cargo à voile est utile, et quand c’est contre productif.
Je trouve ça génial, parce que ça permet de redessiner la carte du monde du transport maritime. Rien que ça messieurs dames !
Pour chaque destination, il faut se demander quel est le potentiel de chargement d’un cargo. Il faut viser le plus gros possible…mais tant qu’il ne voyage pas à vide. Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre.
Prenons l’exemple de la ligne Asie - Europe
Un énorme trafic justifie des porte-conteneurs de 20 000 boîtes, comme disent les intimes. Aucun intérêt d’y mettre un cargo à voile (on est bien plus à droite encore que le point C !).
Il faudrait surtout réduire le volume importé d’Asie. Genre éviter les conteneurs remplis de mini-sapins en plastique en novembre. La réalité c’est que c’est l’arbre qui cache la forêt… mais c’est un autre sujet.
Et pour notre Marseille - Madagascar alors les amis ?
L’équipe Windcoop pense pouvoir remplir 210 conteneurs par trajet. C’est pour ça qu’ils ont augmenté la taille du bateau de 70 à 210 conteneurs.
Quand tu regardes la courbe, passer de 70 à 210 revient à passer de A à B.
Et c’est déjà bénéficier de la moitié de la baisse des émissions de CO2 liée à la capacité d’un navire. Ils pourront se permettre d’allumer de temps en temps le moteur pour assurer les délais tout en décarbonant un maximum. Ouf !
Après des dizaines d’itérations, l’équipe atterrira sur un voilier de 91,3 m de long et 17,8 m de large. Il portera 3 grandes voiles rigides de 21 m de haut conçues par l’entreprise française CWS.
Windcoop devrait réduire de 60 % les émissions de CO2 du transport Marseille - Madagascar actuel (ref CleanCargo) :
Une partie du gain vient du transport à la voile sur la majorité du trajet. Ça, tu t’y attendais.
Mais une grosse partie est liée au fait que la route sera directe entre Marseille et Madagascar. Logique ? Et pourtant…
Aujourd’hui, un conteneur qui part de Madagascar part sur un premier bateau vers les hubs de l'île Maurice ou la Réunion, puis sur un second bateau vers l’Asie ou le Moyen-Orient, puis change une troisième fois de bateau pour atteindre enfin Marseille avec un 3e bateau. Pas vraiment la route la plus courte !
Nils Joyeux, cofondateur de Windcoop et de Zephyr et Borée
Le cargo Windcoop va jouer à la tortue face au lièvre.
Il avancera seulement à 9 nœuds de moyenne au lieu de 18 pour un cargo classique. Et pourtant, il mettra 4 semaines, contre 2 mois classiquement :)
Malin, écologique, et plus rapide pour les clients.
Il n’est pas beau ce projet de cargo ? Si si, mais il coûte 25 à 30 millions d’euros… Et financer un projet pareil n’est pas de tout repos…
Saison 4 : les défis du financement
Avant même la réception des derniers plans du cargo, l’équipe lance un financement participatif sur la plateforme Lita.
C’est un carton : 900 citoyens deviennent sociétaires de la coopérative. En décembre 2022, 1,2 million d’euros est collecté. Superbe :)
En même temps c’est tellement la classe de raconter à un dîner que tu es co-armateur d’un cargo… (Psst tu peux le devenir ici.).
Des cofondateurs expérimentés, un projet fou, un bateau dessiné, 1,2 million collecté. Succès ?
Comme souvent, c’est quand tout est rose qu’arrivent les grosses difficultés…
Premier problème : la première campagne de financement était basée sur un bateau de 70 conteneurs, pas 210. Entre 2022 et 2024, le cargo devient plus gros, donc plus cher ! Il va falloir lever plus de fonds.
Deuxième problème : le cargo devait être construit pour une mise à l’eau fin 2024. Sauf que trouver le bon chantier, négocier un bon prix, et viser le bon calendrier… C’est dur ! Résultat : tout prend du retard. En 2024 le chantier n’est pas encore trouvé. Bienvenue dans le monde de l’industrie lourde. Il va falloir encore plus d’argent pour financer tout ce temps sans chiffre d’affaires.
Alice de Cointet est alors recrutée comme directrice opérationnelle en mars 2023. Sa mission : convaincre un maximum de financeurs de rejoindre l’aventure.
Ce n’est pas super simple. La coopérative est au cœur du projet, et tout le monde n’est pas aligné avec ça.
Qui dit viser un monde dans lequel on ne concentre plus le capital, dit un monde dans lequel un investisseur a moins d’influence.
“Pas simple d’expliquer à un investisseur qu’il n’aura pas de pouvoir de décision particulier et que la valorisation ne grossira pas. J’ai pris des portes pendant 1 an, mais on a fini par trouver des personnes géniales et alignées.”
Alice de Cointet, Directrice opérationnelle de Windcoop
Le plus malin pour trouver des investisseurs dans une coopérative comme Windcoop a été de convaincre :
Les citoyens qui voulaient rêver d’un nouveau transport maritime. Qui voulaient faire partie de l’histoire, et comprendre les hauts et le bas de ce type de projet.
Les industriels qui voulaient expérimenter un nouveau modèle logistique. Comme Arcadie.
12 investisseurs finissent par investir plus de 100 000 euros, dont Arcadie (2 millions d’euros) et… Valrhona (300 000 euros).
Cette boîte produit parmi les meilleurs chocolats qui existent. Miam !
“Le transport représente la moitié des émissions de CO2 de notre cacao provenant de notre partenaire à Madagascar, notamment parce que nous avons déjà optimisé les émissions liées à la production. Le Fret à la voile est stratégique pour réduire nos émissions.”
Nans Mouret, acheteur cacao Valrhona (groupe Savencia)
Au total Windcoop réussit à lever 6,8 M€ :
2,3 millions en financement participatif, (particuliers et investisseurs amateurs)
2,7 millions auprès de futurs chargeurs / clients
1,8 million d’euros auprès d’investisseurs professionnels
Financer ce type de projet est très complexe, parce que tu dois faire avancer des plaques mouvantes. Tu n’as jamais un oui très clair d’une banque, d’un investisseur, ou d’un chantier. Ça prend des mois, tout est lié, tout s’entrechoque. Un non quelque part peut tout faire tomber, et un oui ailleurs peut débloquer autre chose.
Matthieu Brunet, cofondateur de Windcoop et président d’Arcadie
Saison 5 : la délivrance
Après 1 an et demi de galères, tout se débloque.
Une banque accepte de leur prêter les 23,6 millions d’euros restants. C’est la Banque Populaire Grand Ouest, avec qui ils signent le 2 avril 2024.
C’était chaud, mais on l’a fait ! 45 industriels se sont engagés à remplir nos cargos en 2027, pour un chiffre d’affaires sécurisé de 9 millions d’euros. C’est ça qui a fait la différence à la fin pour obtenir ce prêt historique…
Matthieu Brunet
C’est partiiii ! Quelle résilience il faut dans ce type de projet… On peut féliciter la Banque Populaire Grand Ouest, qui a joué superbement son rôle.
D’un seul coup tout s'enchaîne, et un contrat est signé avec le chantier naval RMK Marine en décembre 2024. C’est le chantier turc qui a aussi construit le cargo à voile de Neoline.
Cette résilience pendant 1 an et demi crée des bases ultra-solides dans l’équipe Windcoop. Comme ils avaient peu d’argent, ils ont développé un modèle frugal.
“Notre équipe est microscopique. On est 4 à temps plein. Nos 3 cofondateurs ne se paient pas avec Windcoop, ils ont leur propre boîte.”
Alice de Cointet, Directrice opérationnelle de Windcoop
On peut compter les membres de leur équipe sur les doigts d’une main, et pourtant ils ont levé quasi 30 millions d’euros. Ils rassemblent 1 700 citoyens, et ils sont en train de lancer le premier porte-conteneurs à voile du monde. C’est super inspirant.
Le premier cargo Windcoop sera à l’eau en 2027… si tout va bien ! L’histoire sera belle dans tous les cas. Si tu veux la vivre de l’intérieur, fais comme moi et achète une part sociale… À partir de 100 euros, pour le plus beau des voyages.
Saison 6 : La suite
Le cargo suivant de Windcoop fera probablement aussi la route Marseille - Madagascar. L’équipe réfléchit à d’autres projets, comme une ligne régionale La Réunion - Mayotte, et un projet transatlantique vers l’Amérique du Sud avec des acteurs du café et du cacao. Ça promet !
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3. Ingrédients ✌️: la recette Windcoop
Pragmatisme et Idéalisme
Quand tu veux repenser le monde maritime avec une coopérative, tu peux vite devenir idéaliste. Quand tu veux aller le plus vite possible, tu peux vite abandonner ton éthique et tes convictions.
Tous les entrepreneurs à impact connaissent ce dilemme.
Le process est de tester en permanence les limites. Un peu comme un enfant de 2 ans en fait 🙃.
C’est comme une vague, on doit rester dessus.
Il ne faut pas être trop bas sur la vague, sinon tu perds ton éthique. Mais si tu es trop haut, tu laisses la vague partir devant toi et ton projet s’arrête.
Matthieu Brunet
Deux exemples :
L’objectif était de construire le cargo en France. Mais le dernier porte-conteneurs a été fabriqué à La Ciotat en 1987. Ils ont tout creusé. Si Windcoop voulait que son projet prenne vie avec un budget réalisable, le mieux était la Turquie.
Au départ ils ne voulaient transporter que des produits bio et éthiques. Mais il fallait surtout s’assurer de remplir le cargo pour lui donner vie. Ils favorisent toujours les produits les plus responsables, mais ils acceptent de compléter avec des produits moins qualitatifs.
La transparence
Le projet Windcoop a été financé par plus de 800 sociétaires en 2022, puis il a pris quasiment 2 ans de retard en 3 ans. La mise à l’eau du premier cargo était prévue pour 2024, ça sera 2027.
Dans une boîte normale, ces retards inquiéteraient les actionnaires et les équipes. Pourtant, Windcoop n’a jamais été aussi en forme. Les sociétaires affluent, les investisseurs industriels tapent à la porte, les clients chargeurs se multiplient.
La raison de ce succès, c’est la transparence.
Toutes les difficultés les plus difficiles à avouer ont été racontées dans la newsletter des sociétaires de Windcoop.
“Peu d’entreprises sont transparentes sur leurs difficultés. La raison, c’est que c’est délicat à court terme. On se demande ce que vont penser les autres. Mais à long terme, la transparence est toujours ce qui rassure le plus.”
Matthieu Brunet, cofondateur de Windcoop
La transparence dans un projet comme Windcoop, c’est viser la robustesse à long terme. Plus que la performance à court terme.
Comme dans un couple non ? Aborder un sujet délicat sans faire l’autruche n’est jamais simple, et l’ego en prend un coup. Mais un couple qui communique beaucoup tiendra plus longtemps. Marions-nous avec Windcoop 💛.
Ce que je trouve super malin, c’est que c’est aussi cette transparence qui forme le “produit” que les sociétaires comme moi achètent.
Quand tu mets 100 euros dans une part sociale Windcoop, tu ne verras probablement jamais le cargo de tes propres yeux. Mais tu fais partie de l’aventure, et on t’offre d’être au premier rang.
Ça n’est pas avec notre cargo de 90 m ni avec les 3 suivants qu’on va changer le monde. Mais on peut embarquer des milliers, puis des dizaines de milliers de sociétaires dans un nouvel imaginaire. On peut montrer qu’il est possible de repenser un secteur aussi complexe que le transport maritime.
Matthieu Brunet
Cette transparence n’est pas une démarche facile. Elle demande de l’humilité :
Windcoop est un projet collectif. Ça peut parfois être frustrant de ne pas pouvoir communiquer autant que voulu, pour ne pas brusquer certains partenaires.
Il faut savoir doser pour ne pas inquiéter. La limite entre être transparent sur les difficultés et inquiéter l’écosystème est fine.
Savoir communiquer en transparence est un art que l’équipe de Windcoop apprend chaque jour. Matthieu en parle super bien dans cet article.
La coopérative
Je vais t’avouer un truc. J’ai souvent été partagé sur la capacité des coopératives à changer le monde :
D’un côté je suis convaincu que la concentration du capital peut être un gros problème. On voit bien l’impact que ça a sur certaines entreprises qui perdent leur âme, ou sur des médias influencés.
D’un autre côté, je me suis toujours demandé si une coopérative pouvait être assez agile. La gouvernance est plus lourde ?
J’avais pris une première claque avec le plongeon réalisé sur la Nef. Et bien j’en ai pris une sacrément belle encore avec Windcoop.
Ce que j’ai découvert, c’est que c’était très efficace.
La coopérative a financé un cargo à voile à 28,5 millions d’euros en 3 ans. Pas vraiment un manque d’agilité n’est-ce pas ?
Un bon symbole de ça est leur levée de capital permanente. Ils n’ont pas besoin de structurer une levée du fonds tous les 2 ans avec des investisseurs comme dans une startup.
Grâce à ce portrait par exemple, vous allez être nombreux à devenir sociétaires Windcoop. Ce modèle de levée de fonds continue est très intéressant.
Au niveau financier la coopérative a permis :
De lever 2,3 millions d’euros auprès de citoyens. Ils investissent parce qu’ils croient en ce modèle plus collectif.
De créer un titre participatif. Ils proposent régulièrement à leurs sociétaires d’investir sur ce format avec un rendement de 4 %. C’est pas mal non ?
De lever 4,3 millions auprès d’industriels. Ils investissent parce qu’ils sont parties prenantes en tant que clients, et qu’ils veulent co-écrire cette aventure et s’assurer qu’elle réussit.
“Valrhona et Norohy ont investi 300 000 Euros dès le départ dans Windcoop car nous croyons fortement dans ce projet stratégique et souhaitons qu'il aboutisse dans les meilleurs conditions possibles pour réduire significativement notre impact carbone sur notre chaine de valeur"
Grégory Delourme, responsable des achats vanille, Norohy (groupe Savencia)
La coopérative permet aussi aux cofondateurs de s’y retrouver. Ce sujet de l’intérêt des cofondateurs de coopératives est souvent tabou.
Ils y passent énormément de temps. Mais ça n’est pas totalement à perte :
Arcadie bénéficie d’une forme d’image “prestige” dans son secteur. Ils sont le fournisseur d’épices bio pionnier qui réinvente le transport maritime. Alors évidemment ça ne sera jamais à la hauteur du temps passé par Matthieu et des 2 millions d’euros investis. Mais quel distributeur déciderait de déréférencer une marque d’épices qui construit autant le futur ?
Zephyr et Borée concrétise un deuxième projet de cargo avec Windcoop. Ils renforcent leur positionnement de pionniers des cargos à voile.
Julien Noé y passe un peu moins de temps, mais il renforce son positionnement de “pionnier des coopératives”. Il enrichit Enercoop de sa compréhension fine des enjeux des coopératives.
C’est aussi super fédérateur en interne pour les salariés de chaque structure.
À chaque fois que je croise quelqu’un à la machine à café chez Arcadie, on me demande des nouvelles du bateau. C’est un projet fascinant à suivre pour les équipes, ils en sont super fiers.
Matthieu Brunet, cofondateur de Windcoop et président d’Arcadie
Et le plus évident dans une coopérative, c’est l’alignement derrière la mission.
Dans une entreprise classique, le capital dirige. Qu’on le veuille ou non.
On peut devenir entreprise à mission, on peut choisir ses investisseurs. À la fin, les actionnaires principaux décident.
Dans une coopérative :
La part sociale ne peut pas prendre de valeur, donc elle n’attire pas les investisseurs qui veulent faire fructifier leur capital.
Ton pouvoir est le même que tu aies investi 100 euros ou 10 000 euros. Elle n’attire pas ceux qui veulent influencer la stratégie collective.
Les investisseurs y placent leur argent parce qu’ils ont envie que la mission se réalise, point. Des industriels qui veulent transformer leur logistique pour la rendre plus sociale ou environnementale. Des citoyens qui veulent rêver d’une logistique meilleure. Des marins qui veulent que leur secteur évolue.
Si la majorité des entreprises intégrait les intérêts de toutes leurs parties prenantes dans la gouvernance comme le fait une coopérative, le monde irait sûrement mieux.
Alice de Cointet, Directrice opérationnelle de Windcoop
Si tu es arrivé ici, c’est que tu apprécies l’aventure de Windcoop, non ? Alors fais comme moi et rejoins l’épopée en devenant sociétaire, à partir de 100€ :)
4. Vocaux 📣 : vision de l’équipe
Alice de Cointet, Directrice opérationnelle de Windcoop
En quoi est-ce que le statut coopératif change la donne pour Windcoop ?
Windcoop est une SCIC, et ça garantit une gouvernance démocratique. Une personne = une voix, peu importe l’argent investi. C’est l’ADN du projet.
Un projet à lucrativité limitée : 57,5 % des bénéfices doivent être réinvestis. L’objectif n’est pas de rémunérer des actionnaires, mais de décarboner le transport et créer de l’emploi. Malgré tout, ça n’est pas “non lucratif” et ça laisse de la marge pour le développement.
Un modèle d’entreprise alternatif : Dans un secteur très tourné vers la concentration du capital et l’opacité, Windcoop propose une autre voie. Et ça marche, il suffit de voir le premier cargo prendre vie !
Matthieu Brunet, cofondateur de Windcoop et président d’Arcadie
Parle-nous de ce fameux mix entre pragmatisme et idéalisme qui vous a amenés jusque-là.
Un équilibre entre idéal et réalisme : Windcoop cherche à être à la fois un projet écologique, social et économiquement viable. L’enjeu : ne pas rester un projet symbolique, mais prouver qu’un autre commerce mondial est possible.
Explorer des voies nouvelles : L’équipe assume des choix radicaux pour montrer qu’un vrai changement de cap est faisable.
Mais il faut du pragmatisme : Le bateau est construit en Turquie, faute de savoir-faire compétitif en France. Un choix dicté par la réalité économique. Il faut s’adapter sans cesse.
Tenir la ligne sans se perdre : Tout le défi, c’est de rester ambitieux sans tomber dans l’irréalisable. Trouver ce juste milieu, c’est ce qui rend le projet solide.
Nils Joyeux, cofondateur de Windcoop et de Zephyr et Borée
Quelle est ta vision du futur du vélique Nils ?
Le vent est gratuit, pas les voiles : Un cargo à voile coûtera toujours plus cher.
Moins de vitesse, plus de coût : Les cargos à voile vont plus lentement, transportent moins, et les frais fixes pèsent davantage.
Un soutien nécessaire : Pour rendre la voile viable, il faudra une vraie demande sociétale et des règles plus strictes, comme une taxe carbone. On va vers ça.
Un mix énergétique réaliste : L’avenir combinera sûrement voile, réduction de vitesse et moteur pour assurer les délais. Dans la logistique multimodale, les incertitudes du vent imposent de garder une propulsion moteur pour la fiabilité.
Erwan Gambert, responsable commercial de Windcoop
Quel est véritablement l’intérêt des chargeurs clients de Windcoop à ton avis ?
Les chargeurs intéressés par Windcoop sont déjà engagés : Ce sont des chargeurs qui ont déjà bossé sur leur impact carbone. Pour eux, le transport, est une suite logique.
Ce ne sont pas des idéalistes, mais des pragmatiques : Ce sont des gens concrets, qui comptent leur empreinte carbone et agissent là où ils ont du levier. Et aujourd’hui, ce levier, c’est aussi le transport maritime.
Ils cherchent aussi de l’efficacité : Le cargo est direct, sans transbordement. Il met deux fois moins de temps qu’un transporteur classique. On parle de 30 jours contre 60 à 70, donc ils gagnent en performance en plus d’agir pour la planète.
C’est tout pour aujourd’hui, merci de m’avoir lu jusqu’au bout. Géniale cette aventure Windcoop non ?
J’ai deux derniers services à te demander :
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À très vite,
Bossant dans le transport, et notamment avec une grosse partie maritime, je suis très intéressée par ce sujet. Merci pour ces informations et cette note d'espoir dans ce monde de fou... :)
Portrait passionnant et "key success factor" bien identifiés, partagés aux amis entrepreneurs ;) Merci Guillaume, 15 min à valeur ajoutée !