Réinventer les levées de fonds
Peut-on vraiment aligner performance financière et impact ? Plongeons dans le futur de l'investissement.
Hello, voilà la newsletter du Plongeoir #37.
Cette édition fait partie de mon programme “Plongeons portraits”.
Racine² est un fonds d’investissement inédit : un mariage entre une association super engagée dans l’impact (makesense) et un des investisseurs français les plus expérimentés (Serena). J’ai passé des heures à creuser avec eux si on pouvait vraiment allier rendement financier et impact social et environnemental.
Ce plongeon portrait est évidemment propulsé par Racine².
Ils investissent entre 500k€ et 3M€ dans des boîtes impact liées à l’environnement, la santé, l’activité physique, ou l’éducation. Le fonds fait 85M€, financé surtout par MGEN.
Ils ont investi dans May (accompagnement de la parentalité), Helios (néobanque verte), Lokki (location de produits), Santé Académie (formation vidéo pour les professionnels de santé), Educ-up (éducation inclusive) ou encore CarbonFarm (décarbonation de la prod de riz).
Si tu as 1 minute
Constat 🧐 : Le montant investi dans les startups a explosé en 10 ans, et les boîtes impact sont de plus en plus sur le devant de la scène.
Sujet 🤓 : la sauce secrète de Racine² est difficile à résumer en quelques mots. Si je dois retenir uniquement 4 ingrédients :
Le rendement visé du fonds : 10% net / an. 25% aurait nécessité trop de compromis impact, et 5% aurait été trop fragile. Sachant que la perf moyenne hors impact est de 9-12% en Europe, viser 10% semble une clef pour tout aligner.
La complémentarité des investissements : certains ont un objectif de perf financière élevée et d’autres visent surtout un impact sur des secteurs mal desservis (ex de l’éducation). Le tout est super résilient et génère peu d’échecs.
Une rémunération conditionnée à leur impact. 50% de leur bonus (carried) est lié à des objectifs d’impact précis. S’ils ne les atteignent pas, c’est donné à une asso. C’est fou non ?
Ils accompagnent vraiment les boîtes, grâce à ce mariage inédit entre un fonds et une asso engagée. Un tiers de leur effectif ne fait que ça. On l’appelle l’équipe “Operating” et leur expérience pour booster le business (réseau Serena) et impact (makesense) est incomparable.
Défis 🤔 : Il faut repenser la sortie des fonds, et inventer de nouveaux modèles pour créer plus d’impact sur le long terme. Il est aussi important de transformer les imaginaires de réussite dans le monde de l’investissement.
Vocaux 📣: Coralie (makesense et Racine²), Géraldine (MGEN), et Eric (Serena et Racine²), nous gâtent avec leurs apprentissages. C’est très précieux.
Pssst : ils recrutent un(e) Investment Associate. C’est le moment ou jamais !
On plonge ?
Cet article a été écrit dans le cadre du programme “Plongeons Portraits” du Plongeoir. Tu peux lire dans le lien ci-dessus comment on les sélectionne. On mentionne toujours les partenariats de manière transparente, on ne partage que nos opinions sincères et on s’engage à travailler uniquement avec des boîtes qu’on trouve exceptionnelles. Comme Racine² ;)
Si tu as 15 minutes
Au programme :
Constat : accélérer l’investissement impact.
Sujet : comment Racine² réinvente l’investissement.
Défis : rêver d’un nouveau modèle.
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1. Constat 🧐 : accélérer l’investissement impact.
Les grandes personnes aiment les chiffres.
+1380% : croissance des investissements dans les startups en France en 15 ans. On est passé de 600M€ par an en 2008, à 8,3 milliards en 2023. Désormais il faut réussir à le flécher vers ce qui fait le plus de sens ?
-45% : baisse du montant levé par les startups en 2023. C’est la crise. Parmi les plus grosses levées de fonds de l’année, beaucoup viennent de boites impact : Verkor (batteries - levée de 850M€), Ynsect (protéines et engrais
via insectes - 160M€), Accenta (décarbonation des bâtiments - 108M€). Financer un futur souhaitable serait-il un moyen de mieux passer les crises ?
260 milliards d’euros / an : facture annuelle de l’inaction climatique que devra payer la France en 2050 si on ne se bouge pas plus. C’est 10 points de PIB.
85 millions d’euros : fonds qui vont être investis par Racine² dans des boîtes à très gros impact.
Il faut investir dans l’impact, mais ça veut dire quoi exactement ?
Définition
Pour définir l’investissement impact, il faut savoir ce qui est de l’impact et ce qui ne l’est pas. Bon courage ! Voilà ce qui ressort de mes échanges avec Racine² :
Raison d’être
La raison d'être principale d’une boîte à impact est de répondre à un besoin social ou environnemental mal desservi.
J’aime beaucoup parce que :
On parle de besoin mal desservi : pour avoir de l’impact il faut s’attaquer à un défi qui manque de solutions.
On parle de social et d’environnemental : l’impact n’est pas uniquement carbone, comme on l’entend trop souvent. Il est par exemple aussi biodiversité, ou eau. Mais il n’est même pas qu’environnemental : il faut aussi agir pour l’éducation, l’inclusion ou la santé.
Rayonnement
Il n’y a pas que la raison d’être de la boîte qui compte. Créer un futur plus cool ne peut pas s’envisager en écrasant tout le monde autour de soi.
Les plus belles entreprises à impact rayonnent :
En interne, avec un management qui encourage le partage du pouvoir, de la valeur, la diversité, et l’inclusion. Quitte à s’attaquer à un super défi social ou environnemental, autant éviter un management tyrannique.
En externe, pour rendre leur industrie plus vertueuse. On appelle ça la coopétition. Par exemple :
Loom a initié le collectif “En mode climat” pour faire évoluer les lois contre Shein and co. Et ils ont gagné ;)
Alenvi (services à la personne) a coopéré avec ses concurrents pour créer l'indice d'Alignement humain. Le but ? Améliorer les conditions de travail des auxiliaires de vie.
Quelques dates, et un mariage incroyable.
2008 : Création du fonds Serena Capital par 3 entrepreneurs : Xavier Lorphelin, Marc Fournier et Philippe Hayat. Ils ont depuis investi +750M€ dans +100 startups dont Dataiku, Malt ou Electra. Ils font partie des pionniers des levées de fonds startups en France.
2008, c’est le début du capital-risque en France. Rien n’était vraiment structuré, et il y avait 10X moins de levées de fonds qu’aujourd’hui. Les entrepreneurs levaient uniquement pour avoir un coup de boost avant d’atteindre la rentabilité, et rares sont ceux qui effectuaient deux levées de fonds.
Xavier, cofondateur de Serena
2010 : Lancement de l’association makesense par Christian et Leila, rejoints ensuite par Coralie, Alizée et Léa. Objectif : booster l’entrepreneuriat social. Aujourd’hui l’équipe compte une centaine de salarié(es), des milliers de bénévoles et a déployé des centaines de milliers d’actions partout dans le monde. Leur impact est massif et super varié. Ils ont autant accompagné TooGoodToGo et Helios que Vendredi ou EachOne.
2014 : Lancement aux Etats-Unis des premiers gros fonds d’investissement impact comme Obvious ($1Md sous gestion aujourd’hui). Ces fonds se concentrent sur les verticales impact les plus rentables (ex : énergie, santé, mobilité).
2015 : Raise se lance dans l’investissement impact en France, avec un fonds de 80M€.
2019 : Lancement de makesense Seed 1, un petit fonds de 8M€ pour prototyper un nouveau type de financement très engagé.
2021 : Explosion de l’investissement en startups. Entre 2021 et 2022, 182 milliards d’euros ont été investis en Europe. C’est plus que ce qui avait été investi en cumulé sur les 7 années précédentes. Les valorisations explosent.
2022 : Lancement du fonds Racine² par makesense et Serena, suite à un appel d’offres de la mutuelle MGEN, qui veut investir 85M€ dans un fonds impact.
C’est le moment des consentements
Le mariage Serena x makesense est passionnant à creuser parce qu’ils ont chacun été pionniers :
Serena sur le Venture Capital (VC) dès 2008 quand personne ne parlait de levées de fonds en France.
makesense sur l’impact dès 2011, quand ce mot n’existait même pas.
makesense, pourquoi avez-vous choisi Serena ?
On avait envie d’être super ambitieux pour construire le futur. On a trouvé chez Serena l’expertise qui nous manquait, l’investissement nécessite du vécu. Et puis on a la même culture entrepreneuriale. C’est touchant de voir que les fondateurs de Serena n’imposent jamais leur point de vue, alors qu’ils ont 25 ans d’expérience.
Léa, cofondatrice de makesense et partner Racine²
Et Serena, pourquoi avez-vous choisi makesense ?
On avait envie d’aller plus loin dans l’impact, et on voulait le faire sérieusement. Qui est plus légitime sur ce sujet que makesense ? Ils ont 15 ans de recul pour comprendre comment se construit un futur plus durable. On a des historiques très différents et ça me pousse chaque jour à me remettre en question. On a chacun gagné 10 ans.
Eric, partner Serena et Racine²
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2. Sujet 🤓 : comment Racine² réinvente l’investissement.
Pour construire un futur plus cool, il faut des fonds d’investissement engagés. L’équipe de Racine² s’est triturée le cerveau et change les règles conventionnelles de l’investissement pour avoir un max d’impact. Voilà ce que je trouve le plus inspirant dans ce qu’ils ont réussi à construire.
Aligner tous les intérêts autour de l’impact
Un fonds d’investissement n’investit pas son propre argent (à part un petit apport de l’équipe). Il lève des fonds auprès d’autres investisseurs, puis investit cet argent dans des startups.
Les investisseurs qui financent les fonds s’appellent les LPs (Limited Partners). Ils peuvent être des mutuelles, des fonds de retraite, des banques, des fonds souverains (ex BPI) etc.
Si tu veux vérifier la sincérité des investisseurs qui veulent investir dans ta startup, il faut vérifier les contrats qu’ils ont signés avec le LP. Par exemple, est-ce que les bonus des associés du fonds sont conditionnés à l’atteinte d'objectifs sociaux et environnementaux ? Est-ce qu’ils s'engagent contractuellement à investir dans des domaines à impact fort ?
Chez Racine²
Le LP est MGEN, première mutuelle des agents du service public avec 4,22 millions de personnes protégées.
La MGEN a un bilan d’environ 5 milliards d’euros à investir :
La moitié est investie en Bourse, dans ce qu’on appelle des investissements cotés.
L’autre moitié est investie un peu partout sur le territoire, dans des projets diversifiés et plus ou moins risqués comme Racine².
Ils ont investi 80M€ en 2022 dans le fonds Racine², en compagnie du Groupe Vyv (leur maison mère) qui a mis 5M€ et d’un apport de l’équipe (1,7M€).
MGEN est venue avec une thèse d’investissement déjà claire en tête :
Préserver l’environnement : nous consommons l’équivalent de 2,7 planètes chaque année. MGEN est une mutuelle engagée sur les territoires, la partie environnement était logique.
Développer l’activité physique : 95% des Français adultes ne font pas assez de sport selon l’ANSES. C’est le 4ème risque de décès dans le monde. Plutôt logique comme objectif d’investissement pour une mutuelle.
Améliorer les modes de vie au quotidien : les personnes âgées dépendantes par exemple vont passer de 1,2M en 2012 à 2,3M en 2060 en France. Intelligent de chercher à résoudre ce défi pour MGEN...
Rendre l’éducation accessible à toutes et tous : les 10% les plus pauvres ont 4 ans de retard en France vs 10% les plus riches à 15 ans selon l’OCDE. Ha tiens, MGEN est notamment la mutuelle du personnel de l’éducation ;)
Racine² a signé un contrat engageant avec MGEN. Le bonus de l’équipe est lié à l’atteinte d’objectifs impact, et donc à la réussite de cette thèse.
Il n’y a pas que la MGEN qui peut être un bon financeur pour construire un futur plus cool. Aviva et Maïf (assurances) sont deux autres exemples de LPs réputés pour investir beaucoup dans les fonds impact.
Parier sur la complémentarité entre startups financées
La plupart du temps dans le monde des levées de fonds on entend parler de la “power law”. Selon cette “loi”, il n’existerait qu’une seule stratégie à suivre pour rendre un fonds rentable. Il faudrait tout parier sur le succès énorme d’une poignée de startups, plutôt que sur la réussite moyenne de tout le monde.
Pour schématiser, ça donnerait pour un objectif de rendement de 25% annuel net sur 10 ans :
30 boîtes financées
15 échecs (oups)
12 trajectoires moyennes (ok)
3 boîtes qui deviennent des licornes et valent plus d’1 milliard (champagne)
Dans cette stratégie, les 3 boîtes qui cartonnent doivent à minima faire X100 chacune en 10 ans. Tout l’objectif du fond est dirigé vers la génération de ces 3 licornes.
Difficile d’avoir une stratégie véritablement impact en visant ce type de modèle. Le succès du fonds repose sur le fait de :
Financer au nez et à la barbe des autres investisseurs quelques pépites. Elles sont super importantes, mais elles se seraient de toute façon financées sans problème.
Financer uniquement les boîtes qui peuvent passer très vite à l’échelle (ex du digital) ou qui parient sur de nouveaux marchés extrêmement profonds (ex des bornes de recharge de voiture électrique). Investir dans ces boîtes est nécessaire, mais pas suffisant. Qui sera là pour financer l’éducation ou une alimentation plus durable par exemple ?
Chez Racine²
L’équipe a développé une nouvelle stratégie pour viser autant le financier que l’impact sur des secteurs qui ont besoin de soutien :
Mixer les investissements : certains auront clairement un objectif de performance financière élevée (comme pour les fonds qui visent 25%). D’autres viseront surtout un impact sur des secteurs mal desservis (ex de l’éducation). La moyenne doit rendre 10% de rendement net annuel.
Diminuer le nombre d’échecs : pour que cette stratégie fonctionne il faut prendre moins de risques et investir dans des modèles économiques éprouvés. Par exemple Racine² fait partie des seuls investisseurs à financer l’éducation, via EducUp (soutien scolaire pour tous). Leur modèle économique est solide : les cours particuliers. makesense appliquait déjà cette stratégie sur son premier fonds Seed One de 8M€. Ils n’ont perdu que 3 boîtes sur 21 en 5 ans, ce qui est super faible.
Une stratégie qui fait penser aux règles de la nature ?
La nature est régie par des principes qui lui donnent une résilience immense. Ce grand laboratoire qu’est le vivant a vu apparaître des innovations depuis des milliards d’années qui ont abouti à la création d’écosystèmes robustes.
makesense, livre blanc Entrepreneuriat 100% vivant
Viser un rendement financier raisonnable
Si le LP demande au fonds d’investir dans des startups, c’est parce qu’il espère évidemment un rendement financier intéressant. Sinon ça ne serait pas de l’investissement impact, ça serait de la philanthropie.
Maintenant qu’on s’est dit ça, il y a rendement financier et rendement financier. Dis-moi quelle rentabilité tu vises et je te dirai à quel point tu vas avoir de l’impact.
Chez Racine²
La MGEN a fait un appel d’offres en 2021 pour choisir l’équipe qui investirait leur argent. Ils ont reçu 14 dossiers. Une des différences entre leurs projets était le rendement visé, qui allait de 5 à 25% :
25% : ça oblige à n’investir que dans des boîtes digitales et des ruptures technos.
5% : le modèle économique de MGEN aurait été trop fragile. En plus, un fonds qui vise 5% de rendement peut devenir dangereux pour les entrepreneurs. Ils n’ont aucune marge de manœuvre si une boîte se plante. Donc quand ça arrive, ils peuvent être très durs.
makesense et Serena ont convaincu MGEN en visant 10% de rendement annuel net.
Si on peut faire du 10% en étant convaincu qu’on a vraiment fait tout ce qu’on pouvait pour avoir de l’impact, c’est super et ça donne de l’espoir pour le futur non ?
Géraldine Brasseur, Directrice des investissements MGEN
Le plus incroyable dans cette histoire, c’est que j’ai découvert que la moyenne de rentabilité des fonds d’investissement sur 15 ans était en fait de 9,4% en Europe et 11% aux US (moyenne réalisée sur la performance de 1700 fonds).
![](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2Fe299113b-9ee7-4f17-bfa1-8a3e3cd5a08f_940x788.png)
Si le rendement de 10% véritablement impact de Racine² est une performance financière standard, est-ce qu’on peut espérer que les fonds impact se multiplient ?
Aligner la rémunération de l’équipe avec l’impact
C’est toujours la même histoire : comment pourrait-on transformer vraiment la société si les objectifs de chaque individu restent uniquement financiers ?
Combien de boîtes développent des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 à 2030, mais gardent une rémunération variable du comité de direction basée en totalité sur des objectifs financiers ?
Chez Racine²
Racine² l’a compris : la rémunération de l’équipe doit être basée sur l’atteinte d’objectifs d’impact.
Comment ça marche ?
Un fonds d’investissement se rémunère avec un fixe et un variable :
Le fixe s’appelle “management fees”. Ça paie les équipes et toutes les charges. C’est généralement 2% du montant du fonds chaque année. Si le fonds est de 100M€, c’est donc 2M€/an.
Le variable s’appelle “le carried interest” ou "carried” pour les intimes. C’est généralement 20% de la plus-value. Ça s’applique donc quand ils ont remboursé le montant initial du fonds aux LPs et qu’ils commencent à leur générer de la plus-value, souvent après 7-8 ans.
Chez Racine² la partie variable (le carried) est basée à 50% sur des objectifs d’impact. Voilà comment ça se passe :
1/ Des objectifs impact chiffrés sont co-construits avec les entrepreneurs chez qui ils investissent. Voilà deux exemples :
Santé académie : nombre de professionnels de santé formés
Educ-up : pourcentage de familles clientes qui sont en tranche 1 de la CAF
2/ Ces objectifs sont ensuite revus, challengés et validés par une personne experte et indépendante choisie par MGEN.
On est attentifs à ce que tous les KPIs d’impact ne soient pas directement corrélés au chiffre d’affaires, pour que cela ne motive pas uniquement au développement du business.
Geraldine Brasseur, directrice des investissements MGEN
3/ Chaque année, un reporting complet est realisé pour suivre l’impact chiffré de chaque startup par rapport aux objectifs fixés.
4/ Lorsque les parts des startups sont revendues, c’est facile de savoir si la perf financière a été réalisée. Pour l’impact, c’est la personne experte qui avait été nommée qui analyse.
Si on atteint moins de 60% de notre objectif d’impact, alors on ne touche que la moitié du carried et l’autre moitié est donnée à une asso. Pour toucher 100% du carried, il faut atteindre une note d’impact de 100%. Et le calcul est linéaire entre l’atteinte d’une note à 60% et 100%.
Eric, partner chez Racine²
Franchement, je trouve ça vraiment passionnant de voir ce modèle concrètement appliqué et avec sérieux. On a l’impression de lire dans le futur non ?
En plus, le carried n’est pas réservé aux associés uniquement comme dans la plupart des fonds. Cette rémunération est distribuée à chaque membre de l’équipe.
Tout ça fonctionne parce que l’engagement est sincère est partagé par tous. Quelques preuves s’il en fallait :
makesense est une asso pionnière des réflexions sur le partage de la valeur en France. Il suffit de voir lire ce magnifique doc sur leur gouvernance.
Racine² demande à toutes les boîtes de leur portefeuille de devenir soit entreprise à mission, soit BCorp, soit prendre le label ESUS.
Serena est devenue entreprise en mission en 2023. Un tiers de l’équipe est animateur de la fresque, dont tous les partners. Ils animent des fresques du climat dans leurs startups.
Il y a tellement de paroles en l’air sur ce sujet que voir autant d’actions concrètes donne espoir.
Accompagner (vraiment) les boîtes
J’ai mis “vraiment” entre parenthèses, parce que tous les fonds que tu croiseras te diront qu’ils accompagnent les boîtes qu’ils financent.
La plupart du temps c’est assez léger. Ils te donnent des conseils en board, te font des intros, et organisent quelques évènements entre les startups de leur portefeuille.
Qu’est ce qui change chez Racine² ?
Accompagnement business
Un tiers de l’équipe de Racine² est dédié uniquement à l’accompagnement des boîtes. Des entrepreneurs expérimentés accompagnent les startups au quotidien. David, Coralie, Mathilde, Emilie et Jessica sont ces “Operating Parners”.
Au lancement de Serena on était 3 ex-entrepreneurs alors on voulait accompagner les boîtes, et le faire nous-même. Mais quand t’es au board et investisseur c’est difficile de créer un lien avec les équipes. Séparer les rôles marche mieux. L’Operating Partner n’a pas de rôle d’investisseur et est 100% dédié à l’accompagnement.
Xavier, qui a initié le modèle d’Operating Partner chez Serena.
La deuxième grosse puissance de Racine², c’est l’accès à l’expérience d’autres dirigeants de startups financés par Serena. C’est super simple et efficace :
Dès qu’un entrepreneur a une question, il l’envoie par email à +500 dirigeants. Après 26min en moyenne, une réponse structurée parvient d’un membre.
Tout est enregistré dans une plateforme en ligne. Tu peux y retrouver des réponses opérationnelles à n’importe quel type de sujet.
Ce que j’adore dans ce process est qu’il est exigeant en qualité : chaque message sera lu par toute la communauté. Quand tu sais que le portefeuille de Serena compte Electra, Accenta, la Fouchette, Malt, ou Dataiku, ça pousse à tourner trois fois sa langue dans sa bouche avant de répondre.
Accompagnement impact
Racine² ne voit pas l’impact comme un vernis qui donnera une jolie couleur aux startups. Ils sont exigeants, et accompagnent même les startups à devenir BCorp, entreprise à mission ou Esus.
Ils sont persuadés qu’une boîte avec une mission forte et protégée sera bien plus résiliente et solide sur le long terme.
Nous voulons accompagner nos startups pour qu’elles deviennent adaptables. C’est pas pareil qu’agiles. Une boîte agile slalome entre les risques, mais ils sont de plus en plus durs à anticiper. Une boîte adaptable est résiliente face à l’imprévisible.
Coralie, cofondatrice makesense
makesense accompagne des entrepreneurs impact depuis 13 ans. Dès l’investissement dans une startup ils passent 2 jours avec les équipes pour définir une roadmap impact détaillée. Coralie (cofondatrice de makesense) aide par exemple pour :
Intégrer une mission sociale/écologique au cœur de l’activité de la boîte et la protéger dans sa croissance (Société à mission, Esus, Bcorp)
Inclure toutes les parties prenantes dans la gouvernance et partager le pouvoir
Favoriser le bien-être et l’inclusivité dans les équipes
Partager la valeur créée
Développer le business dans le respect de l'environnement
3. Défis 🤔 : rêver d’un nouveau modèle.
Racine² est une étape. Ce que j’adore c’est qu’on sent qu’ils ont une profonde envie de refondre le monde de l’investissement brique après brique et avec humilité.
Voilà 2 gros défis qu’il faudrait résoudre. On se motive ?
Repenser la sortie des fonds
Un fonds n’investit pas dans une startup pour toujours. Il a besoin de rendre l’argent à ses LPs.
Le problème, c’est que quand tout le monde veut vendre ses parts, c’est pas toujours idéal d’un point de vue impact :
Quand la boîte est vendue à un grand groupe, la greffe ne prend pas toujours. Quand elle prend, c’est compliqué d’influencer les pratiques d'un mastodonte.
Quand elle est introduite en bourse, la vision court terme d’un cours boursier est souvent incompatible avec celle d’une stratégie impact.
Alors on fait quoi pour revendre les parts du fonds d’investissement ?
Une revente à un grand groupe engagé. Si l’ADN de l’acheteur est déjà fortement orienté vers l’impact, la greffe prendra beaucoup mieux. Par exemple, la startup Alfonse a été rachetée par Bayard (entreprise à mission) ou KissKissBankBank avait été racheté par la Banque Postale (la banque traditionnelle la plus engagée).
On développe le “Steward ownership”. C’est passionnant, voilà l’idée :
Séparer la propriété des parts de la boîte et la gestion de l’entreprise. Ça permet d’avoir des objectifs solides et long terme, qui ne changent pas à chaque nouvel actionnaire. Ils n’ont pas de contrôle direct sur les décisions.
Créer un fonds de rachat. L’entreprise peut créer un fonds alimenté par ses bénéfices, pour racheter les actions des investisseurs à une date convenue, et reprendre progressivement le contrôle du capital.
Les employés peuvent avoir la priorité pour racheter les actions, ce qui les motive à travailler pour le succès à long terme de l’entreprise.
C’est ce qui a été mis en place chez Patagonia, ou chez Eclosia. Purpose en Allemagne est un investisseur pionnier de ce modèle. L’équipe de Racine² est très admirative de leur boulot, et j’avoue que c’est très inspirant.
Changer les imaginaires
Pour que le monde de l’investissement change, il faut que les imaginaires collectifs évoluent.
Remettre l’église au milieu du village
Le rendement d’un fonds d’investissement est en moyenne de 9-12% et pas de 25% comme on l’entend parfois.
C’est important, parce qu’une fois qu’on a positionné cette vérité au milieu de la table on peut dessiner un futur totalement différent.
Imaginons que l’impact performe aujourd’hui à 10%, et demain pourquoi pas à 12-15% (puisque de nombreux marchés vont se transformer). Il devient alors aussi rentable d’investir dans l’impact que d’investir ailleurs.
Dans ce cas, pourquoi ne pas flécher beaucoup plus de financements vers la construction d’un futur plus cool ?
Valoriser l’impact comme marqueur social
Il faut incarner une vision alternative du succès et de la réussite. Un investisseur même impact est aujourd’hui encore jugé uniquement sur sa capacité à retourner le maximum de retour financier à ses LPs.
Le modèle aura vraiment été transformé quand les investisseurs seront évalués par leurs pairs - donc par leurs copains et copines investisseurs - sur des conceptions extra-financières. Aujourd’hui on investit dans l’impact, mais on n’a rien changé de l’imaginaire du succès, qui reste de faire un max de plus-value financière uniquement.
Léa, cofondatrice de makesense et partner Racine²
Rêvons : demain, la réussite d’un partner de fonds d’investissement sera peut-être jugée sur des millions de m3 d’eau économisés, des tonnes de CO2 évitées et des inégalités sociales gommées.
Si le modèle de Racine² t’a inspiré autant que moi, sache qu’ils recrutent un(e) Investment Associate. C’est le moment ou jamais !
4. Vocaux 📣: vision de l’équipe
Géraldine Brasseur, directrice des investissements chez MGEN (LP chez Racine²)
Ce que je retiens du vocal de Géraldine :
MGEN a dû choisir un partenaire pour son véhicule impact. Le partenariat makesense / serena était intéressant : potentiellement 2X plus de dealflow, et plus d’impact.
Une boîte impact doit être rentable pour que son utilité soit pérenne, donc il y aura de la perf financière possible. Simplement, c’est sur un temps potentiellement plus long.
On fixe des KPIs impact qui sont liés au chiffre d’affaires, mais aussi au partage de la valeur, ou à l’accès au plus grand nombre. Ces boîtes seront plus résilientes sur le long terme, et elles séduiront plus facilement leurs clients et fournisseurs.
Eric Gossart, partner chez Serena et Racine²
Ce que je retiens du vocal d’Eric :
Il y 2 ans, tout le monde se demandait pourquoi on allait vers l’impact investing. Pour beaucoup d’investisseurs, c’était de la philanthropie. Pourtant nous sommes en plein changement de paradigme, si une entreprise résout des enjeux clefs, elle sera performante financièrement.
On est fiers d’avoir réussi à créer une équipe soudée qui réunit deux mondes qui ne se parlaient pas avant.
Il n’y a rien de plus con que la finance : c’est du “pattern recognition”. C’est à nous de démontrer que notre modèle fonctionne, pour qu’il soit reproduit.
Coralie Gaudoux, cofondatrice de makesense et Operating Partner chez Racine².
Ce que je retiens du vocal de Coralie :
Après l’investissement on lance une phase d’immersion : on définit les sujets de travail : RH, marketing, produit, mais aussi les sujets d’impact : clarifier la mission, l’objectiver, la protéger (Bcorp, Esus, etc.). On va travailler la gouvernance, le partage des richesses, la diversité dans les équipes, la coopération avec les acteurs du secteur.
On fait des ateliers via l’équipe de Racine² et par des introductions à d’autres personnes. Notre objectif est de profiter du passage de Racine² au capital pour ancrer définitivement l’impact dans le modèle de l’entreprise.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Merci de m’avoir lu et écouté jusqu’au bout, et à vendredi prochain ;)
J’ai deux derniers services à te demander :
Mets un petit like / commentaire avec ton ressenti, ça ne mange pas de pain et ça fait du bien.
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À très vite,
Bravo Guillaume pour cette super newsletter (encore une!) qui présente bien le sujet des fonds à impact. Et bravo à Serena, j'aime beaucoup le fait que 1/3 de leur équipe fasse de l'accompagnement, c'est un signe de vraie valeur ajoutée
Merci pour ces inputs très orientés VC. C'est clair que le dealflow dans l'impact investing repose encore aujourd'hui trop sur les startups, mais le vrai impact at scale serait de voir bcp plus de fonds de growth/capdev classiques devenir des fonds de transition/décarbo et notamment passer article 9 avec les 50% de CI alignés sur des objectifs d'impact rééllement ambitieux.